Violences faites aux femmes : un enjeu majeur de prévention pour les collectivités locales

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, découvrez l’interview d’Iman Karzabi, chargée de mission à l’Observatoire régional d’Ile-de-France des violences faites aux femmes, et de Carmelina de Pablo, présidente d’Élu.e.s contre les violences faites aux femmes (ECVF). Iman Karzabi et Carmelina de Pablo sont membres du jury du Prix Prévention de la Délinquance 2019, catégorie « Femmes et Sécurité » qui récompensera une action de prévention menée au niveau local sur la thématique. Le Prix sera remis le 21 mars à l’occasion de la clôture des Assises de la sécurité territoires.

Pouvez-vous vous présenter ?

Iman Karzabi : je suis chargée de mission à l’Observatoire régional d’Ile-de-France des violences faites aux femmes. Cet Observatoire fait partie du Centre Hubertine Auclert, centre francilien de ressources en faveur de l’égalité femmes-hommes, organisme associé du Conseil régional d’Ile-de-France. Le Centre Hubertine Auclert a mis en place et anime un réseau de collectivités territoriales « Territoires franciliens pour l’Egalité », constitué aujourd’hui d’une cinquantaine de collectivités franciliennes. Une de nos principales missions est d’accompagner et d’apporter un appui aux collectivités franciliennes dans la mise en place des politiques publiques en faveur de l’égalité femmes-hommes et de lutte contre les violences faites aux femmes.

Carmelina de Pablo : je suis présidente d’ECVF depuis un peu plus de deux ans, et engagée pour l’égalité entre les femmes et les hommes depuis ce que l’on appelait autrefois « l’âge de raison » ; autrement dit, depuis que la conscience de ce qui vous entoure vous permet d’analyser et de raisonner. ECVF a été créé en 2003 par la philosophe Geneviève Fraisse et la Conseillère régionale écologiste Francine Bavay pour rendre visible dans l’espace politique et public la question des violences faites aux femmes, et bien sûr prendre des mesures pour faire reculer ces violences. ECVF a l’énorme mérite de rassembler des élu-e-s de tous les partis politiques sur un objectif auquel tous adhérent.

Quels sont les principaux enjeux pour la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes ?

Carmelina de Pablo : aujourd’hui plus personne n’ignore les violences, conjugales, notamment mais leur prise en charge n’est pas à la hauteur des enjeux en termes de structures d’accueil et d’hébergement, ainsi qu’en termes de suivi dans la reconstruction des victimes, majoritairement des femmes, bien entendu. Leur financement est une question politique à part entière qui est soulevée depuis de nombreuse années et progresse trop lentement.

Iman Karzabi : les enjeux de la lutte contre les violences faites aux femmes sont multiples. Encore très peu de victimes déclarent ces violences, malgré le changement qui a été suscité par le mouvement Me too. Par exemple, aujourd’hui seule une victime de violences sexuelles sur huit dépose plainte. Cela peut s’expliquer par les craintes que les victimes peuvent ressentir mais aussi par un manque de dispositifs d’aide. C’est un problème important car quand la plainte n’est pas déposée, il n’y a pas de condamnation de l’agresseur. Ainsi, il est important de renforcer le maillage territorial des dispositifs d’aide, d’accompagnement et d’hébergement. La formation des professionnel-le-s est un enjeu également très important pour un meilleur traitement des situations de violences. Enfin, la question de prévention des comportements sexistes, dès le plus jeune âge, est essentielle pour prévenir les violences sexistes et sexuelles.

Percevez-vous une évolution de la prise en compte de ces problématiques au niveau local ?

Iman Karzabi : oui, bien sûr, plusieurs collectivités accordent aujourd’hui une priorité à la lutte contre les violences faites aux femmes au niveau local. Nous observons en Ile-de-France de multiples bonnes pratiques que nous essayons de diffuser. Les récentes lois ont également favorisé le développement des actions au niveau local. La lutte contre les violences faites aux femmes fait partie intégrante de la politique de la prévention de la délinquance. La loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes prévoit que les collectivités mettent en œuvre des actions de prévention et de protection permettant de lutter contre les violences faites aux femmes.

Carmelina de Pablo : le tabou s’est fissuré. Parler de violences faites aux femmes commence à être accepté par la société. Mais on est encore loin d’une « révolution des mentalités » qui permettrait d’inscrire durablement dans l’esprit de chaque homme et chaque femme que ce type de violence est la manifestation d’une volonté de pouvoir, de domination de l’un sur l’autre, et que la société a tout intérêt à ce que les relations entre les êtres humains qui la composent se situent sur un plan égalitaire.

Pourquoi est-ce important qu’il y ait une action coordonnée des acteurs de terrain et des collectivités locales en plus d’une action au niveau étatique ?

Iman Karzabi : l’action des collectivités territoriales est essentielle pour répondre aux spécificités locales et il est important de l’inscrire en complémentarité et en synergie avec les actions menées par l’Etat et les associations. C’est une question d’efficacité et de répartition des compétences. La politique de l’Etat prévoit par exemple des dispositifs de protection, comme l’ordonnance de protection et le Téléphone Grave Danger, des dispositifs d’accueil comme des accueils de jour dans chaque département, des hébergements, notamment d’urgence, etc.
Les collectivités peuvent intervenir de manière complémentaire pour mettre en place des permanences spécialisées de proximité animées par des associations locales par exemple, pour faciliter l’accès des victimes à l’information et à l’accompagnement. Les collectivités peuvent mettre en place des dispositifs d’hébergement ou de logement, dédiés aux femmes victimes de violences, pour répondre aux manques. Formation des professionnel-le-s, information et sensibilisation du grand public au niveau territorial sont essentiels pour contribuer à un changement non seulement local mais également plus global au niveau de la société.

Carmelina de Pablo : tout simplement parce les résistances de la société sont telles (regardez tous les agresseurs qui se retournent juridiquement contre les agressées) qu’il faut une volonté politique pour légiférer, et faire appliquer la loi, et une action concrète de tous les acteurs de terrain pour infuser dans les différents secteurs de la vie locale, au quotidien : sports, culture, action sociale, entreprises, etc.

Certaines collectivités locales et associations luttent contre les violences faites aux femmes depuis de nombreuses années, avez-vous des exemples de pratiques et de combats à partager aux membres du FFSU ? 

Iman Karzabi : plusieurs collectivités, souvent en partenariat avec des associations spécialisées dans la lutte contre les violences faites aux femmes, ont mis en place des dispositifs novateurs au niveau local, on peut en citer plusieurs, nous les avons référencés dans le guide méthodologique que nous avons produit pour les collectivités « Agir efficacement contre les violences faites aux femmes au niveau local », en accès libre sur notre site : https://www.centre-hubertine-auclert.fr/outil/agir-efficacement-contre-les-violences-faites-aux-femmes-au-niveau-local . On peut résumer que pour que l’action soit efficiente au niveau local plusieurs critères doivent être réunis : un budget et des personnes dédiées au sein de la collectivité pour coordonner les actions, une approche globale qui permet la mise en place des actions à plusieurs échelles, de la prévention à la protection des victimes, et aussi la lutte contre plusieurs types de violences sexistes et sexuelles qui constituent pour les femmes un continuum (dans la sphère privée, dans l’espace public, au travail, etc.)

Carmelina de Pablo : beaucoup d’actions très variées se mettent en place dans des collectivités de toute dimension, cependant, la spécificité des violences faites aux femmes n’est pas suffisamment prise en compte dans les statistiques. Leur particularité incontournable est à dissocier afin d’en finir avec ce phénomène d’occultation. Les enquêtes sociologiques montrent que la reproduction de la violence dans notre société n’est pas étrangère à l’exposition des enfants à la violence paternelle.