« Le Forum arrive avec son expérience, son expertise et c’est autant de temps de gagné pour nous », Daniel Guiraud, Maire des Lilas

Le Forum Français pour la Sécurité Urbaine a accompagné la ville des Lilas (93) pour l’élaboration de sa stratégie de sécurité et de prévention de la délinquance. Daniel Guiraud, Maire des Lilas, nous a accordé une interview pour nous expliquer les enjeux de sécurité auxquels fait face sa ville et l’importance de la mise en place d’un Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD).

Pouvez-vous nous présenter votre ville ?

« Les Lilas, c’est une petite ville de 23 000 habitants qui offre la particularité d’être limitrophe d’une grande capitale mondiale. Entre Les Lilas, Le Pré-Saint-Gervais, Paris, Bagnolet et Pantin il y a un continuum de bâti. Nous sommes dans la Métropole du Grand Paris. La densité de population y est extrêmement importante : 16 000 habitants au km². C’est une ville où il y a de la mixité sociale, de nombreuses d’associations et où les gens se connaissent. »

Quels sont les principaux enjeux auxquels elle fait face en termes de sécurité urbaine ?

« Nous n’avons pas forcément les mêmes problématiques de sécurité que d’autres villes françaises parce que la notion de déplacement y est différente. Il n’y a pas des effets de sécurité endogènes qu’on pourrait opposer à des éléments exogènes, tout ça s’entremêle. Certains de nos habitants commettent des faits de délinquances dans d’autres villes et inversement, nous avons des faits qui sont occasionnés par des personnes qui n’habitent pas la ville. Ce qui pose un sujet en termes de prévention. On peut travailler en prévention sur le public qu’on connait et qu’on a ici aux Lilas mais pas avec les habitants d’autres villes »

Vous êtes plus particulièrement confrontés aux problématiques de rixes entre mineurs. Pouvez-vous nous en parler ?

« Il y a eu 3 morts depuis 2016 aux Lilas. Le chiffre est énorme. Pourquoi aux Lilas ? Dans le cadre du tissu urbain continu, en toile de fond il y a une guerre de territoires qui est très ancienne. Dans les années 1980-90 on avait des affrontements et déjà des morts. Cela continue désormais avec un double phénomène : à la fois l’appartenance territoriale et des questions relatives aux territoires de petit deal. Parfois les deux s’entremêlent mais pas toujours. Il y a quelques années, on pouvait suivre ces phénomènes sur les réseaux sociaux mais aujourd’hui, les dealers sont sur des réseaux fermés.
Une autre raison est que nous sommes au centre d’un territoire : au nord Le Pré Saint-Gervais et Pantin, à l’est Romainville, au sud Bagnolet. C’est un point de passage qui peut être un point de frictions. Nous avons un lycée, le lycée Paul Robert, qui accueille des lycéens de toutes ces villes. Les querelles de territoires y convergent.

Enfin, il existe deux zones de non-droit en Seine-Saint-Denis, dont une à côté des Lilas : la Capsulerie à Bagnolet et la cité des Boutes à Saint-Ouen. C’est un endroit où il y a un gang mafieux organisé qui structure le trafic de drogue de la région. Des zones de trafic se sont créées aux Lilas autour de ce point de fixation mafieux. On a du mal à les endiguer car d’autres reviennent si tôt déplacés. »

Parvenez-vous à agir contre ce phénomène ?

« La prévention est indispensable mais elle trouve ses limites. Cela pose la question du service public d’État. Face à des agissements mafieux, qu’est-ce que je peux faire en tant que Maire ? Le rôle du service public est alors essentiel. Ce n’est pas qu’une question de moyens sur des outils de prévention. Après le drame que nous avons connu, j’ai envoyé un courrier à Édouard Philippe et à Jean-Michel Blanquer le 15 octobre 2019. À ce dernier, j’ai demandé de réparer une anomalie historique : nous sommes l’une des rares villes du département à ne pas être concernée par les Réseaux d’Éducation Prioritaires. La réponse a été que la géographie prioritaire serait revue mi 2021. J’ai aussi demandé un travail sur la sectorisation auquel je n’ai eu aucune réponse. J’ai interpelé Édouard Philippe sur le fait que Les Lilas ont toujours été en dehors des dispositifs de politique de la ville. Il n’a pas répondu, à ce jour, à mon courrier. Quand les maires alertent Matignon, ce n’est pas pour rien. Les maires n’abusent pas de cela. Le service public d’État est défaillant en termes de moyens. Il faut s’attaquer au problème et ne pas attendre le prochain mort. Nous, les Maires, on essaie de faire ce que l’on peut mais cela supposerait des moyens qui dépassent largement nos capacités. »

Sur cette problématique des rixes entre mineurs, l’échange entre villes est-il important ?

« Oui, on échange beaucoup avec d’autres villes. L’échange entre les communes limitrophes est vraiment important. D’ailleurs on a un CLSPD à deux étages : le CLSPD communal mais également un CLSPD intercommunal. Il y aura notamment les cinq villes qui concernent le lycée Paul Robert : Les Lilas, Pantin, Romainville, Le Pré Saint-Gervais et Bagnolet. C’est important que l’on travaille en formation intercommunale chaque fois qu’il y a besoin. On a aussi des dispositifs plus souples : des réunions ponctuelles par exemple entre Les Lilas et Paris ou Les Lilas et Bagnolet en fonction des sujets. »

Le CLSPD étant désormais officiellement installé, quel rôle souhaitez-vous lui donner et quelles sont les prochaines étapes que vous avez identifiées en matière de sécurité et de prévention de la délinquance ?

« Le rôle que nous voulons lui donner, c’est d’abord un rôle de synergie entre tous les acteurs. On a la chance d’avoir des partenaires intéressants dans la ville, notamment parmi les associations et le corps enseignant. Il faut que tout le monde assure la cohérence. La pire chose c’est l’action dispersée où chacun n’est pas au courant de ce que l’autre fait. Je ne dis pas qu’il faut être au courant du détail le plus précis de ce que fait chacun de nos partenaires mais qu’on sache sur quoi ils travaillent. Cela veut dire qu’il faut qu’on ait des points réguliers d’échanges où chacun peut également faire part de ses attentes vis-à-vis des autres. Il faut que le CLSPD soit un outil souple. Il ne faut pas que ça soit une structure rigide. Le formalisme n’est pas le plus important. Il faut que ça se réunisse sur des vrais sujets : pas faire des réunions pour faire des réunions. Il faut qu’on produise quelque chose à son issue qui se transforme en opérations concrètes. Je crois beaucoup aux vertus d’échange de bonnes pratiques, de communication, de cohérence et d’articulation du CLSPD. »

Vous avez été accompagnés par le FFSU, pour l’élaboration de votre stratégie de prévention de la délinquance, pourquoi avoir souhaité cet accompagnement et que vous a-t-il apporté ?

« Déjà le professionnalisme du Forum ! Le cœur de métier du Forum c’est précisément ces problématiques. Ça nous évite de réinventer l’eau sucrée. Le Forum arrive avec son expérience, son expertise et c’est autant de temps de gagné pour nous quand on se pose une question à laquelle le Forum est capable de répondre. »

À travers cet accompagnement, la ville des Lilas est devenue membre du FFSU. Qu’attendez-vous de ce réseau ?

« Ce que j’attends du Forum c’est de pouvoir profiter de sa connaissance, de ses compétences et de son expertise. J’ai bien connu Michel Marcus, ancien Directeur général du Forum, quand je travaillais pour l’État, il y a plus de 20 ans. Je l’appréciais beaucoup. Nous avions monté ensemble le Forum urbain de Vienne. Le Forum n’était donc pas un monde inconnu pour moi. »