Face au conspirationnisme : Enjeux et défis

Fake news, post-vérité, théories complotistes…symptômes et facteurs de la défiance croissante envers nos institutions et les médias, ces phénomènes se manifestent aussi au niveau local. Souvent corrélés à une adhésion aux discours populistes ou extrémistes, ils sont un danger pour la cohésion sociale. Le 21 mars, le FFSU a proposé un débat autour du conspirationnisme. Rudy Reichstadt, membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et directeur du site Conspiracy Watch,  a lancé les discussions en présentant le sondage IFOP – Fondation Jean-Jaurès sur la place du conspirationnisme en France.  

 

Le complotisme : un phénomène répandu

Rudy Reichstadt conclut du sondage IFOP-Fondation Jean Jaurès réalisé en décembre dernier que le complotisme est un phénomène “non seulement tangible mais majeur, qui traverse toute la société.” Plus précisément, il distingue trois groupes au sein de l’opinion :

  • 53% des Français feraient preuve de résistance face aux théories complotistes. S’ils peuvent adhérer à une ou deux de ces thèses, leur comportement est très proche de celui des personnes qui n’adhèrent à aucune de ces théories.
  • 22% peuvent être qualifiés de complotistes modérés. Ils croient en 3 ou 4 théories du complot et sont susceptibles de basculer vers un conspirationnisme plus intense.
  • 25% sont des complotistes convaincus et croient à plus de 5 théories.

 

Il souligne également que “l’adhésion aux théories du complot semble avancer avec les générations.” Alors que les seniors sont plutôt résistants, les 25-34 ans et surtout les 18-24 ans sont beaucoup plus perméables. Rudy Reichstadt remarque ainsi que “rien ne permet d’indiquer que ces personnes deviendront moins complotistes en gagnant en âge”. Alors que les thèses complotistes “imprègnent déjà nos représentations collectives à un degré préoccupant, dans 10 ans, ces thèses vont circuler beaucoup plus facilement.”

 

Une influence de la blogosphère à nuancer

Le développement des croyances extrêmes est souvent attribué à internet. En effet, de nombreux sites et comptes sur les réseaux sociaux traitent l’actualité et l’Histoire sous un angle uniquement complotiste et disposent d’une large audience. Rudy Reichstadt estime ainsi que près de la moitié des sites politiques français serait conspirationniste. Toutefois, l’intervenant nuance le lien entre internet et conspirationnisme. En effet, le conspirationnisme existait bien avant l’émergence d’internet. Ainsi, si la technologie facilite l’émergence, l’immédiateté et la circulation de ces théories, elle ne peut expliquer à elle seule l’adhésion au complotisme.

 

Des croyances qui érodent la confiance dans le système démocratique

Le conspirationnisme doute de tout : épidémie, attentats, intentions des politiques et des médias… Il remet en cause les croyances, les valeurs mais aussi les faits. Selon Rudy Reichstadt, cela entraîne une rupture fondamentale car l’opposition inhérente à nos démocraties ne se fait plus sur les idées mais sur la réalité vécue. Dès lors, le système dans son ensemble est remis en question. Cela est renforcé par une défiance extrême des conspirationnistes dans la démocratie présentée comme un théâtre d’ombres et de jeux de pouvoirs.

Rudy Reichstadt souligne par ailleurs que la rhétorique conspirationniste légitime souvent des discours et violences discriminatoires. Sans établir un lien causal, il souligne une corrélation positive entre vision complotiste et adhésion aux thèses extrémistes. Source de contestation, le conspirationnisme est aussi un défi pour la cohésion sociale. La classe politique et le niveau local doivent donc s’en emparer.

Comment y répondre ? Pistes de réflexion

Le complotisme repose souvent sur “un mille-feuille argumentatif qui met bout à bout des arguments de domaines variés (économie, géopolitique, génie civil…).” Même si pris séparément, ces arguments ne sont pas valables, leur association offre “une réalité rassurante à un monde qu’on ne maîtrise pas.” Par ailleurs, Rudy Reichstadt note une asymétrie dans la capacité critique des personnes qui croient à ces théories. Très critiques vis-à-vis des thèses officielles, elles sont plus crédules pour les explications alternatives. L’intervenant a présenté trois pistes d’action pour ouvrir le dialogue avec les conspirationnistes. Tout d’abord, il invite à livrer à un “harcèlement argumentatif” : questionner chaque argument présenté, dévoiler à quel agenda politique il répond, pour en souligner la fragilité. Rudy Reichstadt appelle également à éduquer les citoyens, les enfants en particulier, à la “pensée critique méthodique” de tout énoncé, thèses officielles comme alternatives. Enfin, il appelle à chacun “dans sa sphère d’expertise à contribuer à l’effort général en déconstruisant les thèses abusives et fausses”.  

En conclusion, il rappelle qu’agir contre le complotisme ne signifie pas nier l’existence des complots. Part de l’histoire, les complots existent et ont toujours existé. Les dévoiler requiert des efforts souvent longs de fond et d’enquête ; une entreprise réalisée chaque jour par journalistes, magistrats et activistes dont le travail ne doit pas être sous-estimé.

 

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